AccueilIndex Articles Questions vives Livres Réseaugraphie Collaborer Guide Écrivez-nous
Notre Francophonie
Acteurs
Culture et éducation
Économie et écologie
Géographie
Grandes questions
Langue
Politique internationale
Sciences et techniques
Société

La Lettre de L'Agora
Abonnez-vous gratuitement à notre bulletin électronique.
>>>
Questions vives
@: prononcer ad
Mais puisque il vient du latin, il est totalement absurde et affecté d'affubler l'arobase de la prononciation at, en cédant à la confusion avec une préposition anglaise de sens et de prononciation proche. Il faut bien prononcer ad l'@ de vos adresses électroniques. Honni soit qui mal prononce !

Document associé
La conscience alimentaire malheureuse

Jacques Dufresne et Michael Pollan
Présentation
L'art de la table: la santé par le plaisir, dans l'oubli de la santé.

Extrait
Je pense que la santé doit être une conséquence du bien-manger, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la santé : faire la cuisine, les repas pris ensemble et la consommation de vrais aliments. Vous serez en bonne santé, mais ce n'est pas le but. L'objectif devrait juste être de bien manger pour le plaisir, pour la communauté, et toutes les autres raisons pour lesquelles les gens mangent. Ce que j’essaie de faire, c’est de donner le point de vue d’un extraterrestre sur la manière dont nous voyons les aliments en Amérique et dans d’autres pays développés. Nous avons trop tendance à voir dans les aliments soit la promotion de notre santé soit sa ruine. C'est une manière très étriquée d’envisager la nourriture, et c'est une manière très étriquée d’envisager la santé. La santé de nos organismes est liée à la santé de la communauté et à la santé de la terre. La santé est indivisible. C'est mon message secret.

Texte
Quand on mange bien, en bonne compagnie, on a toujours conscience de ce plaisir, mais il s'agit normalement d'une conscience légère, innocente. Le scrupule, la crainte de commettre le péché de gourmandise peut dans un certain contexte religieux rendre cette conscience malheureuse. Ce sont surtout les normes nutritionnelles qui produisent aujourd'hui cet effet, ce qui explique pourquoi les psychiatres ont forgé le mot orthorexie, pour désigner la culpabilité morbide qui s'empare de certaines personnes quand elles ont le sentiment de ne pas manger correctement. Cette nouvelle conscience alimentaire malheureuse ne se réduit pas à la simple substitution de la norme scientifique à la norme morale. La norme morale a bien rarement empêché nos ancêtres de manger sans remords, elle a sans doute eu plutôt un effet semblable aux principes d'Épicure: manger avec mesure, et assurer par là aussi bien le plaisir que la santé. La nouvelle conscience malheureuse s'est établie sur les ruines des diverses cultures alimentaires dont elle a elle-même accéléré l'érosion. Manger en bonne compagnie n'est plus un acte naturel innocent, à peine troublé par de lointains principes rappelant à la mesure. C'est un acte consistant à obéir aux décrets des experts aussi scrupuleusement qu'un grand malade suit les prescriptions de son médecin. Comme les normes nutritionnelles sont mal assurées et changeantes, comme la cacophonie règne dans cet univers, la conscience est doublement malheureuse: à la culpabilité d'avoir dérogé à la Norme, s'ajoute l'angoisse d'avoir peut-être choisi la mauvaise variante de la Norme.

Voici sur ce thème des extraits d'une interview que donnait récemment Michael Pollan, auteur de Nutrition, mensonges et propagande, suivis d'extraits d'une conférence récente de Jacques Dufresne intitulée: La conscience alimentaire malheureuse.

Michael Pollan

Dans ce livre, vous parlez de « nutritionnisme » cette tendance des scientifiques et des experts en nutrition à voir les aliments comme la simple somme de leurs éléments nutritifs. Qu’est-ce qui vous choque dans ce mode de pensée ?

«Deux choses ne vont pas dans ce que j’appelle le nutritionnisme. La première c’est que quelle que soit l'information scientifique publiée, elle est très rapidement déformée par les industriels et les publicitaires. Ils vont prendre une information partielle sur les antioxydants, et vous raconter que si vous mangez des amandes vous allez vivre indéfiniment. Il y a une déformation de ce qu’est une hypothèse scientifique. Nous, journalistes, sommes tout autant coupables. Nous prenons des éléments scientifiques sommaires, et nous en faisons de gros titres.
L'autre chose qui m'a étonné, c’est la pauvreté des données qui sous-tendent un grand nombre de ces grosses études sur l’alimentation. Quand vous essayez de remplir un questionnaire de fréquence alimentaire, vous vous rendez vite compte que ces informations ne sont pas fiables. En le remplissant, j'ai été aussi honnête qu’il est possible de l’être et j’ai tenté de me rappeler ce que j'avais mangé et il en est ressorti que je mange 1200 calories par jour. C’est-à-dire au moins 1000 calories de moins que la réalité. Nous savons que les gens minimisent leur consommation d'environ 30 %. Nous ne savons rien de la chose la plus importante en nutrition, qui est : « Qu'est-ce que les gens mangent réellement ? » Il est difficile de construire de la bonne science là-dessus. »

Alors, comment devons-nous penser la nourriture et la santé?

«Je pense que la santé doit être une conséquence du bien-manger, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la santé : faire la cuisine, les repas pris ensemble et la consommation de vrais aliments. Vous serez en bonne santé, mais ce n'est pas le but. L'objectif devrait juste être de bien manger pour le plaisir, pour la communauté, et toutes les autres raisons pour lesquelles les gens mangent. Ce que j’essaie de faire, c’est de donner le point de vue d’un extraterrestre sur la manière dont nous voyons les aliments en Amérique et dans d’autres pays développés. Nous avons trop tendance à voir dans les aliments soit la promotion de notre santé soit sa ruine. C'est une manière très étriquée d’envisager la nourriture, et c'est une manière très étriquée d’envisager la santé. La santé de nos organismes est liée à la santé de la communauté et à la santé de la terre. La santé est indivisible. C'est mon message secret. »

Source: La Nutrition.fr

Jacques Dufresne

«Quand la conscience alimentaire devint-elle malheureuse et pourquoi? Il s'agit d'un changement lent mettant en cause une multitude de facteurs, aussi bien psychologiques, sociaux, économiques et culturels que biologiques ou chimiques. Pour que cette conscience prenne forme, il fallait, par exemple, que la science jouisse d'une autorité assez grande pour induire un sentiment de culpabilité dans les populations. Il fallait que l'industrialisation provoque un déracinement massif qui eut pour effet d'affaiblir les cultures et de miner le jugement. Il fallait que la nouvelle mentalité scientifique et industrielle envahisse les familles et les écoles. Il fallait enfin que l'acte alimentaire se morcelle. Chez les Hunzas par exemple, peuple de l'Himalaya qui, grâce à son autarcie alimentaire notamment, a battu tous les records de longévité, l'acte alimentaire avait conservé toute son unité, chacun connaissant l'histoire de l'aliment depuis la semence de la graine dans la terre jusqu'à l'épandage du fumier dans cette même terre. La confiance régnait dans un tel contexte et la tentation de tricher en vendant des aliments malsains était réduite au minimum. Aujourd'hui, au contraire, l'acte alimentaire est divisé en plusieurs opérations étanches : la production industrielle des engrais et des herbicides, la récolte, la transformation, la distribution, l'apprêt, la publicité, la mise en marché. Comme la moralité dans notre espèce se mesure au nombre de kilomètres séparant le producteur du client, il va presque de soi qu'une telle étanchéité entre les opérations ait une multitude de conséquences négatives.

C'est ce qui a rendu la réglementation gouvernementale nécessaire.S'il fallait choisir une date marquant l'avènement de la conscience alimentaire malheureuse, ma préférence irait à 1938, année où fut voté aux États-Unis le Food, Drug, and Cosmetic Act, la loi qui donnait de réels pouvoirs à la FDA (Food and drug administration) fondée en 1906. En 1937, une compagnie pharmaceutique du Tennessee mit en vente un médicament miracle appelé Élixir sulfanilamide. Pour le fabriquer, on avait utilisé un solvant apparenté à l'antigel. Ce poison provoqua la mort d'une centaine de personnes, des enfants surtout. En 1906, c'est une enquête d’Upton Sinclair publiée sous forme de livre et portant sur la viande avariée qui avait mobilisé l'opinion publique.

Dans ce nouveau contexte, c'est l'autorité étatique qui allait progressivement remplacer le jugement des personnes et des cultures dans le choix des aliments. C'est là un événement majeur dans l'histoire de l'humanité que nous n'avons pas encore très bien compris et dont nous commençons à peine à mesurer les conséquences. Ce qui avait été jusque là une compétence proprement humaine et un facteur d'unité des cultures devenait l'apanage d'une institution bureaucratique obéissant à des lobbys à la fois scientifiques, politiques et économiques. À la même époque, les individus furent progressivement dépouillés de leur compétence proprement humaine par les institutions de la santé, de l'éducation et des services sociaux.

Compte tenu de l’industrialisation de l’alimentation, on comprend que les premières agences de sécurité alimentaire aient été accueillies avec soulagement. On devait cependant en apercevoir rapidement les côtés faibles et les effets pervers. Parmi ces effets pervers, le plus grave, rappelons-le, est la disqualification du jugement et l'atrophie et la mise en péril, peut-être irrémédiable, de la symphonie alimentaire que les cultures avaient réussi à composer. Précisons ici que la nourriture est un phénomène à la fois biologique, psychologique, culturel et social. La compétence individuelle en matière d'alimentation était l'un des facteurs d'unité des cultures. Quels sont les sujets du dialogue qui, dans toutes les cultures et depuis toujours, rapprochent les êtres humains les uns des autres ? La nourriture est sans doute le plus important et quand elle n'est pas le sujet des conversations elle en est l'occasion, comme nous le rappellent le Banquet de Platon et la dernière Cène. »

Source: La conscience alimentaire malheureuse. Il faut choisir entre la healthy vita ou la dolce vita, entre le slow food et le pill food.

Source
Recherche
>

Autres documents associéw au dossier Crise alimentaire
La conscience alimentaire malheureuse
Jacques Dufresne et Michael Pollan
Crise alimentaire, nourriture, santé
Le réensoleillement de l'agriculture
Michael Pollan
Pétrole, gaz naturel, calorie
Un film qui dit tout sur l'agriculture
Hélène Laberge
Monoculture, OGM, trichogramme, blé, maïs, agriculture biologique