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Réchauffement climatique et refroidissement linguistique
Le français, langue de l'environnement? Rien n'est moins sûr. Pour l'heure, il n'a toujours pas droit de cité au sein des instances onusiennes travaillant sur le réchauffement climatique, qui viennent de déposer le 2 février 2007 un important rapport d'un groupe d'experts international sur l'évolution du climat, en anglais exclusivement, au coeur même de la capitale française où siège la Francophonie.

Document associé
Les deux francophonies, ce qui les divise, ce qui peut les unir
Dossier: Francophonie

Marc Chevrier
Professeur au département de science politique de l'Université du Québec à Montréal.
Présentation
Comment unir ce que la géographie et l'histoire séparent, la France d'un côté de l'autre l'ensemble des autres pays francophones?

Extrait
C’est autant par le savoir de pointe, les humanités de ses collèges et de ses grandes universités que par ses chansons et ses films que les États-Unis séduisent le monde. Rassembler les francophones par un savoir de pointe, mais néanmoins accessible à tous par la voie d’Internet et auquel ils peuvent contribuer suivant divers degrés de connaissances et d’approfondissement, c’est là une voix à explorer, parmi un éventail, somme toute limité, d’avenues pour surmonter les fractures entre les deux francophonies.

Texte
Il existe deux francophonies, la française ou hexagonale, et la extra-française ou hors hexagone. Les deux s'équivalent en population, mais les Français ignorent que les francophones hors France sont aussi sinon plus nombreux que la population française (si l’on compte les francophones occasionnels). La première francophonie a une identité forte, un État ancien, puissant et unitaire, une unité territoriale et démographique, ainsi qu'un rayonnement international que soutiennent une diplomatie et une armée. Pour les Français, la France est une évidence, tellement qu’ils inclinent à la mettre à part du monde francophone, relégué dans une catégorie extérieure à leur entité nationale. La France n'est certes plus la puissance d'antan, mais c'est encore une puissance moyenne qui possède une voix tribunicienne dans le concert des nations. Du reste, les débats qui font rage sur le prétendu déclin de la France sont en grande partie la conséquence de ce que les Français se rendent compte progressivement que la France rêvée d’hier n’est plus et que leurs représentations de l’influence et du prestige du pays doivent s’ajuster au poids réel du pays sur l’échiquier international.

La deuxième francophonie est dispersée géographiquement sur cinq continents, formée soit de minorités qui contrôlent tout au plus des États fédérés (Québec, cantons suisses, communauté et région wallonnes), soit d'anciennes colonies françaises qui ont conservé le français comme langue nationale de communication concurrencée toutefois par les langues autochtones, soit de francophiles dispersés pour qui le français est une langue personnelle sans statut politique ou juridique particulier. En tout état de cause, dans l'espace francophone hors France, il n'y a aucun État indépendant dont le français est la langue maternelle de la majorité. Dans cet espace hors France, le français ne s’impose pas naturellement, le plurilinguisme est souvent la norme. Bon gré mal gré, ces francophones hors France doivent composer avec plusieurs langues apprises; le français est soit une langue première disputée par une autre plus usitée ou plus influente; soit une langue seconde ou tierce. En France, par contre, les Français, comparativement aux autres Européens, n’excellent guère dans l’apprentissage des langues étrangères. Dans l’espace francophone hors France, le français connaît une situation géopolitique fragile. En Belgique, le français est en déclin vis-à-vis du Flamand. En Europe, il enregistre jour après jour des reculs comme langue de communication et de prestige des élites au profit de l'anglais; cette situation s’est accentuée avec l’élargissement de 2004, qui a fait entrer tout d’un coup dans l’Union européenne dix pays membres aux élites anglophiles. En Afrique, la France voit son influence s'amenuiser sur ses anciennes colonies, soit en raison de la montée de l'influence anglo-américaine qui attire les élites africaines, soit en raison de la politique d'arabisation menée par certains régimes (Algérie, par exemple). En Amérique, le Québec, deuxième nation de la langue maternelle française, se développe dans un régime quasi fédéral dominé par l'élément anglophone, inséré culturellement dans l'anglosphère et en voie de satellisation par les États-Unis. Quant aux francophones hors Québec, l'assimilation, même quelque peu ralentie, se poursuit. Et puis Haïti, État effondré, ne sait toujours pas comment se relever. En Amérique latine, la langue et la culture françaises, voire le système d’éducation français, ont longtemps connu un certain rayonnement parmi les élites, qui s’est effrité aujourd’hui. Par ailleurs, les liens économiques entre les fragments de l'espace francophone sont faibles, exceptés ceux qui unissent encore la France à son pré carré africain. En Europe comme en Amérique du Nord, les flux économiques obéissent désormais à une logique de « continentalisation ».

Le paradoxe de la Francophonie, c'est qu'elle est à la fois intime - la langue touche à l'identité, à l'expression de soi - et très lointaine, en raison des barrières et des dynamiques multiples qui éloignent les francophones les uns des autres. Pour réussir, la Francophonie doit tabler sur ce qui rapproche immédiatement les francophones, par une culture de l'universel qui ne soit pas purement abstraite, en tablant sur les instruments de télécommunications qui peuvent se jouer des distances. Créer des TV5, des « radio-Francophonie international » ne suffit toutefois pas. On peut se féliciter, à juste titre, de la création de l’Agence de la Francophonie, mais sachons reconnaître lucidement les limites d’une telle organisation. Si celle-ci réussit à réunir les élites politiques et administratives d’un nombre impressionnant de pays et de gouvernements, le grand défi de la francophonie demeure d’avoir à tisser des liens durables entre des populations francophones que la géographie, l’histoire et la politique séparent les unes des autres. Ce défi apparaît d’autant plus difficile à relever que chacune de ces populations entretient un rapport particulier à la langue et la culture françaises. Ambivalents face à une langue qui fut celle des colonisateurs, les Africains veulent néanmoins le savoir de ce que certains appellent le « premier monde », pour le transposer dans leurs réalités à eux, mais sans paternalisme. Wallons, Suisses et Québécois nourrissent vis-à-vis de la France toutes sortes de griefs et d’attentes que les Français ne connaissent souvent pas eux-mêmes. Si les Français ont une riche et merveilleuse culture, ils doivent toutefois comprendre qu'ils en sont copropriétaires, avec d'autres sociétaires.

Pour parler en des termes proches de la pensée de Simone Weil, la francophonie est condamnée par la « pesanteur » des déterminismes géopolitiques; le rapprochement entre les deux francophonies pourra se cristalliser, voire prospérer, s’il fédère le meilleur des francophones, non par un volontarisme d'État mécanique, mais grâce à l'agencement de volontés qui se coordonnent par la force des intérêts bien compris, des affinités attractives et des communautés de projet. Ce qui fait l’attrait de la culture anglo-saxonne, outre l’importance de sa population et sa puissance économique, c’est la conjonction synergique de la culture d’élite ou savante et de la culture populaire de masse. C’est autant par le savoir de pointe, les humanités de ses collèges et de ses grandes universités que par ses chansons et ses films que les États-Unis séduisent le monde. Rassembler les francophones par un savoir de pointe, mais néanmoins accessible à tous par la voie d’Internet et auquel ils peuvent contribuer suivant divers degrés de connaissances et d’approfondissement, c’est là une voix à explorer, parmi un éventail, somme toute limité, d’avenues pour surmonter les fractures entre les deux francophonies.
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